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Messe des Cendres et mémoire des défunts (06/03/19)

HOMÉLIE

IMGP8519J’ai beaucoup d’affection pour Syméon. Depuis longtemps. Depuis très longtemps.
J’ai beaucoup d’affection pour lui à cause de son nom : Shim’ôn en hébreu : Dieu a entendu.
Mais j’ai surtout beaucoup d’affection pour lui à cause de cette image qui ne me quitte pas : « Syméon blottit l’enfant dans ses bras. »
C’est un peu comme s’il le cachait en lui. Comme si la lumière du Temple était trop forte. Comme s’il fallait enfouir la Présentation. Comme s’il importait de protéger Dieu.


Pour tout vous avouer... je me sens un peu Syméon depuis quelques semaines...
Mon dernier filleul, Élie, est né le 15 février, et je le blottis souvent dans mes bras. Et je le contemple à n’en pas finir...
Mais rassurez-vous.
Il y a des Syméon qui durent ! Je n’ai pas du tout envie de m’en aller rapidement, même si mes yeux ont vu le miracle de la naissance.

J’ai beaucoup d’affection pour Syméon, parce que l’Ancien est tout entier tendu vers le Nouveau.
Parce que le vieux est tout entier habité par le jeune.
C’est tellement vrai qu’au moment où il le porte dans ses bras, l’enfant le rajeunit, Syméon, et voilà qu’il se met à chanter : « Maintenant, ô maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. »
Où va-t-il, Syméon ?
Et quel est ce ciel qu’il va rejoindre en paix ?
Laissez-moi vous raconter cette petite histoire juive qui dit bien le chemin suivi par Syméon.
C’est un homme qui aimait beaucoup son pays.
Avant de mourir, il demande à son fils de lui apporter un peu de terre afin qu’il puisse la serrer dans ses mains au moment de rendre l’âme.
Et le voilà devant les portes du ciel.
Dieu l’accueille chaleureusement mais lui demande d’ouvrir les mains.
L’homme refuse car il veut emporter sa terre avec lui. Il ne peut donc pas entrer et reste devant la porte.
Peu de temps après, Dieu revient et s’adresse à notre homme comme à un vieil ami : « Allez, viens, il y a une place pour toi, il te suffit d’ouvrir les mains ! »
L’homme refuse encore.
Quelque temps plus tard, Dieu recommence et s’adresse à l’homme en le suppliant : « Tu es bon et tu nous manques ; s’il te plaît, accepte de lâcher ce que tu tiens ! » Et Dieu lui donne le bras pour avancer vers la porte car l’homme, devenu très vieux, a beaucoup d’arthrose. Au moment où il arrive devant la porte, il est tellement épuisé que ses forces l’abandonnent et qu’il ne parvient plus à tenir ses mains fermées. Elles s’ouvrent et la terre commence à couler. Et au même moment, les portes du paradis s’ouvrent devant lui. Et la première chose qu’il voit... c’est son pays tant aimé.
J’ai beaucoup d’affection pour Syméon parce qu’il nous indique que pour entrer au paradis, il faut tenir l’enfant dans ses bras, les mains grandes ouvertes.
Et que blottir l’enfant dans ses bras, c’est l’affaire d’une vie entière, et que c’est particulièrement important quand la mort est là.
Comment vous dire ?
Au fond, c’est tout simple.
Quand nous sommes proches de mourir, parfois dans la paix et parfois au terme d’une rude traversée, parfois tout petit et parfois très vieux... ce dont nous avons le plus besoin, c’est que quelqu’un nous blotisse dans ses bras.
Si je devais formuler un souhait, un seul souhait, c’est que personne sur cette terre ne s’en aille sans avoir été pris, au moins une fois, dans des bras.
Dans nos bras.
Dans vos bras.
Ce devrait être un engagement que chacune, que chacun nous prenons.
Oh, je sais que parfois la mort vient mous prendre par traîtrise.
Mais justement...
Ce n’est qu’une affaire de dernière minute.
« Blottir l’enfant dans ses bras »...
Blottir le blessé dans ses bras...
Blottir le découragé dans ses bras...
Blottir le très âgé dans ses bras...
... c’est une manière de vivre... et de dire et de montrer que l’éternité... elle commence quand s’ouvrent les mains, quand se tendent les bras et quand ils se rapprochent pour bercer et pour contempler.
Amen.

Gabriel Ringlet
(06/03/2019)



[1] Sylvie Germain, Le monde sans vous, Paris, Albin Michel, 2011.