Éditorial avril 2015 : Les porteuses de myrrhe
« Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus. »
(Marc 16, 1)
Ainsi, Pâques commence par un désir d’onction. Dans la douleur de leur paysage dévasté, les femmes au tombeau n’ont plus qu’un rêve d’embaumement. Presque rien. Moins qu’un linceul abandonné. Une dernière fois caresser son corps d’herbes nouvelles, l’imprégner d’aromates et le toucher aux endroits des blessures pour adoucir surtout leur propre supplice.
Le rituel qui brûlait en elles n’aura pas lieu. Ne savaient-elles pas, les amoureuses myrrhophores, que les mortels, parfois, sont privés de leurs morts ? Le communiant en robe blanche ne les rassure pas du tout. Il a beau leur parler d’abondance, elles ne voient que le vide. Où est-il passé ? Qui l’a enlevé ? N’était-ce pas assez de le tuer vivant ? Fallait-il encore le tuer mort ? L’échancrure de la lance s’élargit en elles à la dimension du tombeau. Et comme si ce second deuil ne suffisait pas, le chérubin les envoie dehors : « Allez dire… ».
Aller dire quoi ? Aller dire l’absence ? Aller dire le vide ? Aller dire que la myrrhe n’a servi à rien ? Elles s’enfuient « stupéfaites et tremblantes », bien décidées à ne rien dire du tout. Elles vont cacher leurs caresses funéraires. Elles vont cacher leur désir de rite. Elles vont cacher la myrrhe morte et s’enterrer longtemps.
VIVRE EN CREUX
Pâques propose de n’y rien comprendre et de se cacher avec elles. Vivre en creux. Ne surtout rien précipiter. Mais la religion a horreur du vide. Elle remplit. Alors que Pâques est d’abord un événement utérin. La foi chrétienne commence par une béance. Se tenir dans la matrice de l’attente, s’inquiéter, ressasser… À quel moment le bon du souvenir va-t-il prendre le pas sur le mauvais ? Quand les lys des champs vont-ils sourire à nouveau et les oiseaux du ciel picorer des graines de printemps ?
Il a fallu une table, du pain et un cruchon de vin. Peut-être, au début, la myrrhe était-elle encore à côté du pain mort ? Comment une parole est-elle née de ce pain ? Une bénédiction ? Et à quel moment ces femmes ont-elles senti leur ventre remuer ? Un poème les avait frappées à l’intérieur, qui grandissait de jour en jour. Ceux qui ont partagé leur faim, disait-il, multiplié leur soif, les brûlés de la passion, les écorchés de la douceur, les éplorés de la tendresse… sont appelés à ensemencer une terre nouvelle. Fallait-il donc entrer dans la sépulture pour que germe le corps ? « Monsieur le jardinier, supplie Marie-Madeleine, dis-moi où tu l’as mis. » (Jean 20, 15) Elle comprendra un peu plus tard que « Rabbouni » bougeait en elle. Le tombeau est vide mais la femme est pleine.
UN BLANC DANS LE TEXTE
Pâques ne dit rien.
Pâques n’apporte aucune explication.
Pâques ne mène pas une enquête autour d’une disparition inquiétante.
Pâques n’est pas une preuve. Pas un mot sur le « comment ? », ni dans les Évangiles, ni dans les Actes. Un trou de mémoire. Un blanc dans le texte. Juste le récit d’une panique et le début d’une difficile grossesse.
Pâques ne remplit pas la fosse.
Pâques ne referme pas la blessure.
Pâques ne se bouche pas les oreilles.
Pâques ne se berce pas d’illusions.
Pâques ne promet pas le retour à la case départ.
Pâques ne supprime même pas la mort.
Mais Pâques s’étonne que la mort soit enceinte.
Et comme Pâques est pratique…
Pâques ramasse un linceul, et s’en va vite à Bethléem préparer un berceau.
Gabriel Ringlet
Avril 2015