Samedi 1 - Meinie Nicolai
Originaire des Pays-Bas, Meinie Nicolai a d’abord étudié les soins infirmiers puis la médecine tropicale. Très jeune, déjà, elle se sentait appelée à devenir « humanitaire ». Après un Master en Santé Publique à Londres et un passage à l’Institut Tropical d’Amsterdam, elle rejoint MSF où elle deviendra très vite coordinatrice de projet et puis directrice des opérations au bureau de Bruxelles.
Quelle que soit la difficulté de la mission – et Dieu sait qu’elle en a connu, des situations « impossibles » – elle n’a qu’un mot d’ordre qui vaut pour elle comme pour ses collègues : l’enthousiasme et la passion.
En quoi peut-on parler de « promesse » quand on travaille pour MSF ? La promesse, dit-elle, et l’espoir, c’est « ce moment où l’on est quelque part, où l’on tente de contribuer à améliorer la situation des personnes dans le besoin en leur prodiguant des soins médicaux. Cela reste un fait fantastique. Même si vous partez le lendemain ou s’ils meurent. Vous étiez là pour le faire à ce moment-là, et cette énergie de l’aide humanitaire reste porteuse d’espoir ».
Et à Gaza ? Dans le cadre de ses engagements, Meinie Nicolai confie qu’elle a connu de nombreuses situations de crise, au Rwanda, en Angola ou encore en Libye, mais la guerre à Gaza est l’un des pires drames humains qu’elle ait vécu dans sa carrière. Un drame où les soins de santé ne sont pas protégés. « J’ai l’impression que les règles de guerre et le droit humanitaire international étaient un peu plus respectés avant. »
L'accompagnement musical de ce Samedi sera réalisé par les Muz' and Friends.
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Compte-rendu
ALLÉGER LE POIDS DU MONDE
Meinie Nicolai est née en Frise (nord des Pays-Bas), une région à laquelle elle est restée très attachée. Elle a grandi dans une famille « très heureuse ». Son père était chauffeur d’un camion-citerne et sa mère, au foyer, adorait le théâtre. Comme enfant, elle était déjà très sociable et ressentait une profonde attirance pour les chevaux. Elle a d’ailleurs pratiqué très jeune l’équitation et s’y adonne toujours quand elle trouve un peu de temps. Dès l’âge de 15 ans, elle participe activement à diverses manifestations politiques en faveur de la paix dans le monde, de la démocratie… et son premier voyage en Afrique, « comme touriste », la marque profondément. Elle a 20 ans et c’est vers le domaine médical qu’elle s’oriente. Elle effectue ses études d’infirmière à Amsterdam puis une formation de six mois à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers.
La valeur sacrée de l’engagement
En 1992, elle s’engage dans les rangs de MSF-Belgique. « Je suis quelqu’un qui pense qu’il faut faire quelque chose de sa vie et je ne manque pas de courage », nous confie-t-elle. Sa première mission sur le terrain, au Libéria, la confronte aux horreurs de la guerre et aux risques du métier qu’elle a choisi en pleine conscience. Elle sera même arrêtée et détenue « comme espionne » durant plusieurs jours. « J’ai vu beaucoup de misère là-bas. Cette mission m’a définitivement ôté l’illusion qu’on peut sauver le monde mais elle m’a ancrée dans ma détermination. »
Entretemps, Meinie a épousé un jeune médecin, qu’elle accompagne dans certaines missions. Ils auront trois enfants, deux filles et un garçon. « Si on est un bon couple, c’est possible de mener tout ça de front. » D’autres missions suivront, bien entendu, au sud-Soudan, en Angola (où elle sera bloquée 15 jours dans un bunker après un bombardement) et au Rwanda où elle sera coordinatrice d’urgences, juste après le génocide. Comme chef de mission, elle retournera au Rwanda en 1995, puis elle se rendra en Somalie, en Éthiopie et à Kinshasa. En tout, elle œuvrera dix ans sur le terrain, sans discontinuer. « S’engager, dit-elle, signifie choisir. C’est l’acte qui permet d’affirmer sa responsabilité mais aussi sa liberté face à soi-même et aux autres. » Elle est ensuite appelée à de nouvelles responsabilités au sein de MSF-Belgique – directrice des opérations, puis directrice – mais cela ne l’empêchera jamais de se rendre encore et encore sur le terrain.
Désastres humanitaires
Les désastres humanitaires qui se produisent dans la Bande Gaza, en Ukraine ou encore au Soudan retiennent bien entendu toute son attention. « Aujourd’hui, déplore-t-elle, il y a de moins en moins de respect pour le droit humanitaire international. Les hôpitaux et les ambulances sont attaqués, le personnel médical et infirmier est pris pour cible, sans parler des civils innocents. On n’a jamais vu ça. C’est scandaleux ! » Elle a plaidé en ce sens, en juin 2024, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies. Un véritable cri d’alarme.
Dans la Bande de Gaza, où elle s’était rendue en février 2024, comme coordinatrice d’urgence, Meinie a été en contact avec des situations terrifiantes : deux millions de personnes déplacées et confinées dans des espaces restreints, bombardements lourds sur des villes, cohortes innombrables de blessés… « Nos équipes sont mises à rude épreuve, les défis à relever sont immenses. Nous voulons rester aux côtés de tous ces êtres humains en détresse, quels qu’ils soient, mais on ne peut pas sauver tout le monde. Il y a tant à faire… Notre travail, c’est d’abord de soigner et ensuite de témoigner, donner la parole à ceux qui souffrent. »
Impartialité
Comment faire pour rester impartial dans un conflit comme celui qui oppose la Russie à l’Ukraine ou face à la guerre qui ravage Gaza ? Comment dénoncer sans prendre parti ? « C’est très difficile, reconnait-elle, mais l’éthique médicale de MSF doit être préservée à tout prix. Notre indépendance et notre impartialité sont indispensables pour mener à bien nos missions. Nous ne voulons pas être protégés par des armes. Les armes appellent les armes. La force de MSF, c’est son financement privé. »
Après 32 ans au service de MSF, Meinie Nicolai veut continuer à croire en l’Homme. « S’il est capable du pire, il est aussi capable du meilleur. Il faut alléger le poids du monde. » Toujours aussi passionnée et enthousiaste, elle met son énergie et ses compétences au service de l’action humanitaire dans les crises aigües. Elle se bat en particulier pour l’accès de tous à des médicaments de qualité et à bas prix.
Evocation
Meinie Nicolai nous est venue au milieu de son agenda de ministre… et nous aurions pu ne pas vous avoir si une mine en avait décidé autrement. Sa venue peut nous éclairer chacun et chacune et nous aider à réfléchir à nos engagements. Et j’ajoute le clin d’œil que vous avez eu sur le couple qui explique aussi votre parcours.
Votre engagement, Meinie, et s’engager s’est choisir, fut celui de MSF (Médecins sans frontières ).
Nous sommes sans doute impressionnés de rencontrer quelqu’un qui a côtoyé les souffrances du monde, autrement qu’à la TV ou la radio mais en live sur le terrain dont Gaza !
La beauté de votre action, c’est d’y croire : c’est la promesse ! Pour vous, l’humanité sera toujours supérieure à la barbarie. Être à côté, encore et toujours avec opiniâtreté.
Mais aussi avec une réflexion quant aux risques toujours bien présents là où MSF travaille tels que ceux que vous avez rencontrés lors de votre premier jour de travail au Libéria et c’est la menace. Une menace aujourd’hui encore plus forte car l’humanitaire et les hôpitaux sont devenus des cibles.
Vous êtes un colibri ! C’est évident. Je préciserais cependant, un colibri christique, du Christ !
Car votre richesse difficile, c’est de ne pas prendre parti ! Et être à côté tout en restant humble car vous savez que vous ne pouvez pas tout. Les dilemmes, vous les connaissez assez bien mais vous allez toujours où il y a un besoin.
Un colibri christique aussi quand vous nous dites que vous croyez en l’homme malgré toutes les barbaries que vous avez côtoyées. Être à côté, c’est le Christ !
Et puis, à la manière du Christ, vous pouvez être touchée et à l’écoute de paroles toutes simples comme celles de votre fille de 12 ans qui vous dit : « Tu penses que tu es une mauvaise mère, mais ce n’est pas le cas maman. »
Et puis vous nous donnez des idées pour recharger nos batteries quand, dans notre pays protégé, les temps sont durs… La famille réelle, le sport, la marche, la musique, la lecture et les rencontres comme celle de ce matin…
Un immense merci pour votre partage qui nous donne ou redonne confiance en notre profonde humanité. Et vous aurez aussi remarqué le papillon qui nous a accompagnés…
Colophon:
Invitée : Meinie Nicolai
Interview : Jean Bauwin
Compte-rendu : Bernard Balteau
Évocation : Thierry Marchandise
Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé) http://www.pavesurle.net/
Animation musicale : Les Muses
Photos : Chantal Vervloedt-Borlée et Patrick Verhaegen
(30/11/2024)