Samedi Saint
Pour revoir les célébrations : https://vimeo.com/showcase/7887341
LA COMPASSION DU SAMEDI
Pétrir le pain de la solidarité - Avec Maggy Barankitse - Mère courage aux milliers d'enfants
Burundaise chassée par la dictature et en exil au Rwanda, Maggy Barankitse a fondé la « Maison Shalom » et a accueilli des dizaines de milliers d'enfants, orphelins, exilés, soldats... Véritable cheffe d'entreprise, cette résistante qui ose tenir tête aux pouvoirs les plus écrasants tire sa force de la parole biblique qui l'accompagne et lui permet de rester debout. Docteure honoris causa de l'UCL et saluée dans le monde entier, cette mère courage est présentée pour le prix Nobel de la paix 2022.
COMPTE-RENDU
L'espérance a jailli des ténèbres
Avec Maggy Barankitse, la joie du Samedi Saint a pris un visage, une voix et un éclat de rire. En 1993, au Burundi, soixante personnes de sa famille se sont fait massacrer sous ses yeux. Pourtant, elle garde confiance en l’humanité, elle ne laisse jamais la haine s’emparer de son cœur. Elle recueille, depuis 30 ans, des dizaines de milliers d’enfants dans les maisons Shalom qu’elle a fondées au Burundi et au Rwanda. Elle est devenue leur maman à tous, parce que son amour n’a pas de limites.
Ce 16 avril 2022, Marguerite Barankitse conclut en beauté le triduum pascal que le Prieuré célèbre dans la Ferme du Biéreau de Louvain-la-Neuve, transformée pour l’occasion en atelier de boulangerie. Le pain de l’amitié, pétri le jeudi par Hélène Mouton, et blessé le vendredi par la violence des hommes, se retrouve cuit au feu de l’amour universel qu’incarne si bien Maggy. Ce pain de la solidarité est sorti du four, comme l’espérance a jailli du tombeau.
« Merci d’avoir l’audace d’accueillir une terroriste, une criminelle », lance-t-elle, dans un grand éclat de rire, à Gabriel Ringlet. En effet, après avoir été considérée comme une héroïne nationale au Burundi, pour toute son action en faveur des orphelins, des enfants des rues, des enfants soldats, de ceux qui se retrouvent en prison ou malades du sida, elle est aujourd’hui condamnée comme terroriste et criminelle. Le gouvernement burundais, qui l’avait soutenue jusque-là, l’a condamnée en 2015 à la perpétuité, majorée de 20 ans, « au cas où je viendrais à ressusciter… », plaisante-t-elle. Son crime ? Avoir eu le courage de dénoncer les exactions commises par ce gouvernement, de réclamer l’arrêt des massacres et de demander davantage de justice sociale.
On est libre quand on choisit le bien
Cette audace, elle lui vient sans doute de son grand-père, de sa mère et des Dames de Marie qui l’ont éduquée. Dans une société qui exige des femmes l’obéissance, elle désobéit sans cesse. Déjà à l’école secondaire, on la surnommait : « Pas question ! » Une fois adulte, en restant célibataire, sans entrer au couvent, elle désobéit aussi à sa culture burundaise.
Lorsqu’elle entre à l’école normale, elle fait jouer une pièce qui met en scène le coup d’État qui a eu lieu dans son pays, et elle ne comprend pas pourquoi elle est arrêtée. C’est qu’elle a la liberté chevillée au corps.
Maggy, la folle qui adopte, élève |
« Le plus beau cadeau que Dieu nous ait donné, c’est notre liberté. Je ne comprends pas la tyrannie, c’est la liberté qui rend le monde vraiment beau. Et on est libre quand on choisit le bien. Par contre, on est esclave quand on choisit le mal, quand on choisit de haïr l’autre. »
En 1989, elle devient secrétaire de l’évêché de son diocèse. Mais en octobre 1993, le président du Burundi est assassiné par une poignée de Tutsis. Le lendemain, les massacres du génocide commencent. Au lieu de punir les auteurs de cet assassinat, des Hutus tuent indistinctement les Tutsis qui tombent sous leurs machettes. « Mais ce n’est pas l’ethnie qui tue, ce sont les individus, c’est la mauvaise gouvernance des politiciens et l’injustice sociale », clame-t-elle. Elle qui avait élevé, dans sa famille, quatre enfants hutus et trois tutsis, elle ne comprend pas cette haine fratricide et morbide. Elle tente de s’interposer, mais on massacre sous ses yeux, soixante personnes de sa famille.
Elle a alors un déclic. Elle ne veut pas créer des orphelinats qui ne feront que réparer les pots cassés, elle veut construire une paix durable et briser le cercle de violence qui ravage son pays.
Avec les maisons Shalom, où elle donne corps à la compassion, elle crée des écoles, des hôpitaux et même des banques qui font du micro-crédit, car elle veut rendre à chaque enfant sa dignité, le réconcilier avec son passé douloureux, lui permettre de faire son deuil, pour retourner ensuite dans son village, là où vivent encore les assassins de sa famille, et semer des graines de paix.
Elle a une vision à long terme et veut créer une nouvelle génération qui imposera la paix et transformera son pays. Si peu de personnes la comprennent dans un premier temps, que ce soient l’Église, les politiciens, ou les instances internationales, elle saura jouer de sa ruse évangélique pour parvenir à ses fins. « L’amour rend ingénieux et inventif », ajoute-t-elle dans un sourire lumineux.
Parce que rien n’arrête l’amour
Mais en 2015, lorsqu’elle va trouver son président pour lui demander l’arrêt de toutes les exactions, qui sont commises dans son pays avec la complicité du gouvernement, elle qui jouissait d’une notoriété et d’une reconnaissance extraordinaire aussi bien nationale qu’internationale, elle est traitée comme une criminelle et une terroriste. Le gouvernement délivre contre elle un mandat d’arrêt.
Suivre Jésus pas seulement quand |
Elle parvient, grâce à la complicité de l’ambassadeur belge et de Bruxelles Airlines, à quitter son pays incognito. La Grande-Duchesse du Luxembourg lui accorde le statut de réfugiée en une demi-heure, sans qu’elle ne doive passer six mois dans un centre de réfugiés. D’ailleurs, elle n’aime pas ce mot de « réfugiés », elle préfère les appeler : « les citoyens du monde ». « Un réfugié, c’est quelqu’un de normal qui vit une situation anormale. » Elle est recueillie aussi par des Belges qui lui offrent un logement. Aujourd’hui, elle crée encore des maisons Shalom au Rwanda, parce que rien n’arrête l’amour. Elle ne garde aucune haine dans son cœur et continue à espérer contre toute espérance.
« Quand on accepte de suivre Jésus, ce n’est pas seulement quand il multiplie les pains, il faut aussi le suivre sur la croix. Et au pied de la croix, rappelle-t-elle, il n’y avait que quatre personnes, dont trois femmes. » Suivre le fou de Nazareth, c’est prendre le risque de tout perdre pour défendre ses frères et sœurs. Et si, comme le dit le Psaume, Dieu a créé l’homme de peu inférieur à Lui et l’a couronné de gloire et d’honneur, il arrive aussi que cette couronne soit d’épines.
Mais malgré toutes les épreuves qu’elle a subies, Maggy manifeste une force de vivre, une force de joie, une force d’aimer qui font d’elle, déjà, une ressuscitée.
Jean Bauwin
16/04/2022
On est esclave quand on construit la haine. |
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Liens vers la vidéo : https://vimeo.com/showcase/7887341 Youtube |
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Interview et célébration : Gabriel Ringlet Compte-rendu : Jean Bauwin Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé) http://www.pavesurle.net/ Photos : Patrick Verhaegen (16/04/2022) |