Samedi du Prieuré : Christelle Willemez (29/11/14)
SAMEDI DU PRIEURÉ : ÉCHOS DE LA RENCONTRE
Christelle Willemez : À fleur de chair
Recevoir Christelle Willemez – la femme, l’amante, la comédienne – c’était convoquer toutes les femmes au Prieuré, toutes les femmes habitées par la passion, la passion de vivre et d’aimer.
Christelle Willemez se définit aujourd’hui comme un électron libre. Mais ce ne fut pas toujours le cas : fille de militaire, elle commence par se mouler, se conformer au désir paternel, avant de se mettre à l’écoute de son propre désir.
Quand elle était enfant, elle a beaucoup déménagé, au gré des affectations de son papa. Souvent, elle devait quitter ses amis et amies, et gardait contact avec eux par le biais des lettres. Quand elle les relit aujourd’hui, elle est frappée par le lyrisme qui naissait de la contrainte, par la ferveur qui naissait du manque, comme si la frustration était la piste d’envol.
Son père exigeait d’elle l’excellence, mettait toujours la barre plus haut. Pour récupérer de l’amour et de l’estime de ses parents, elle a toujours voulu répondre à leur attente. « Je me suis moulée jusqu’à m’en quitter moi-même », dit-elle. Elle a réussi brillamment ses études dans une grande école de commerce, elle était devenue un cerveau performant, une tête qui carburait dans un corps façonné par le sport. Mais cela s’est fait au détriment de sa sensibilité, de sa féminité. C’est l’école de la vie qui, plus tard, la remettra sur le chemin du féminin.
La pulsation originelle
Pour sortir du moule rien de tel qu’un voyage de six mois en Asie, au Japon et aux États-Unis. Cela la décolle de son milieu familial, quelque peu figé, et elle se découvre elle-même. Son premier salaire, elle le consacre à des cours d’équitation et des cours de chant. Elle peut enfin s’écouter et faire ce qu’elle aime.
Les cours de chant la mettent en contact avec son corps et ses limites. Elle apprend à se détendre et à déployer son corps qui gagne 1,5 cm de hauteur. Elle apprend le rythme dont elle ignorait tout. La pulsation originelle du corps s’était perdue. Il lui faudra douze ans de travail pour la retrouver.
Très vite, elle comprend qu’elle ne pourra pas tenir dans une seule vie, toute la joie qu’elle éprouve dans la création et un boulot de cadre dans une P.M.E. de Lyon. Elle démissionne donc et prend son envol.
Elle explore le chant et le jazz. Son projet, à l’époque, est de faire du beau et d’épater la galerie. Elle veut faire carrière dans le chant, mais n’y trouve que du toc, du faux. Son égo surdimensionné ne lui offre que des rencontres fausses. Elle était en train de rentrer dans un autre moule qui n’était pas elle. Sa vitalité et sa vibration étaient ailleurs.
Elle comprend que quand elle se laisse mener par son égo, elle ne peut pas se réaliser, arriver à la plénitude. Avant d’être fécond, il faut passer parfois par la jachère. Le travail qu’elle réalise à l’Actor Studio la met en contact avec l’émotion. Le théâtre rend légitime les émotions qu’elle avait toujours dû refouler et cela lui permet de faire affleurer toute sa sensibilité. Le travail du clown et du masque lui apprend à devenir le réceptacle d’impressions, d’émotions qui sont là et de les faire résonner en soi pour poser le geste juste.
Comme un arbre creusé par la foudre
Jamais Christelle Willemez n’a voulu s’enfermer dans un couple. Il faut dire que, dans sa famille, les divorces ont été l’occasion de terribles conflits. À la guerre, elle préfère l’harmonie et la paix. Cela tombe bien, elle n’a jamais été demandée en mariage. Après une première longue histoire d’amour de treize ans, elle rencontre un homme lors d’un stage à Moscou. Christelle prend feu, c’est un véritable séisme. Cette rencontre lui apporte tout ce dont elle manquait jusque-là. Pour la première fois, elle se sent une, unifiée, complète. Mais à mesure que Christelle se dilate dans cette vie commune et dans la confiance, son conjoint s’englue dans la boue de son angoisse. Progressivement, la relation n’est plus devenue qu’un reflet de l’amour. C’est à cette époque qu’est né le projet de monter sur scène Entre ciel et chair, une histoire d’amour passionné entre Héloïse et Abélard qui ne mène pas à l’anéantissement.
L’histoire d’Héloïse, c’est un peu la sienne. Christiane Singer met des mots sur ce qu’elle vit. Elle est d’abord dévastée par la perte de l’amour, elle est comme un tronc d’arbre vide, creusé par la foudre. Et au bout d’un processus alchimique, qui est celui de la vie, ce tronc d’arbre évidé par le manque devient un vide d’accueil. Elle s’ouvre à tout ce qui est, au moment présent, dans un amour sans objet, délivré de toute attente.
Avec ce spectacle, Christelle transmute la souffrance de la perte de l’amour. La vie ne nous prend rien qu’elle ne nous redonne autrement. Après la jachère, la vie reprend. C’est une libération que de ne plus se focaliser sur le manque, mais on ne peut pas accélérer le processus, on peut juste le bercer avec confiance. « Il faut laisser la vie nous ensemencer. »
« L’envol par le sombre a consolidé en moi l’avènement de la lumière. » Pour le dire autrement, le sombre, c’est la détresse après la perte de l’amour, c’est le désir de vouloir revivre à nouveau une telle passion, ce sont les agitations stériles ; La lumière, c’est le travail sur soi, par la psychanalyse ou le travail spirituel. Et puis, un jour, toute l’ombre tire la manche pour dire « embrase-toi ! » Et la difficulté n’est plus un obstacle, mais un terreau fertile. Deux expériences d’éveil vécues en 2012 la transforment complètement. Depuis, le soi (qui est une parcelle du divin) et l’égo se donnent la main, « entre ciel et terre ».
Le visage du bonheur
Christelle se refuse à faire des projets pour l’avenir. Chaque fois qu’elle a eu des projets, c’est l’égo qui projetait et cela tournait mal. C’est quand elle n’a pas de projet, que l’inattendu peut surgir. Elle a fait plein de métiers dont elle ignorait jusqu’à l’existence. « Le visage de mon bonheur arrive de manière inattendue, mais je le reconnais et j’y vais. »
La méditation lui permet d’être présente à l’instant présent. Tandis que l’égo bavarde, discrimine, jauge, le travail corporel vide et siphonne l’égo. La disponibilité d’esprit, c’est le meilleur de la vie. « Plus je suis moi-même, plus je deviens reine de mon royaume, plus je suis consciente de ce qui m’entoure, des flux énergétiques. » L’égo prend des voies souffrantes : il veut et il perd. Pour vivre la plénitude, la complétude et la paix, il faut quitter les chemins du vouloir, être disponible comme un arbre creux.
Entre ciel et chair est une aventure qui prendra son temps. Les moments de jachère seront nombreux. Avec Clara Ballatore, la metteur en scène, elle apprend à en faire le moins possible sur scène, pour laisser le texte entrer en résonance avec le public. Elle se met donc en retrait pour qu’on ne voie pas les effets. « Une mise en scène tellement belle qu’on ne la voit pas », écrira un critique. Au final, le résultat est bouleversant. Accompagnée à la contrebasse par Michel Thouseau et subtilement éclairée par Franck Vidalosa, Christelle Willemez nous emmène au XIIe siècle. Mais cette traversée de l’éros et de l’amour spirituel parle encore aujourd’hui à chacun. Parce qu’après avoir traversé l’épreuve, vient le temps de la pacification.
Jean BAUWIN
(29/11/2014)
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