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La Passion du Christ : Commentaire d'Isabelle Le Bourgeois

La Passion du Christ

Les Regards d'Isabelle LE BOURGEOIS
Vendredi Saint 7 avril 2023

Regard 1

Lorsque j’ai écrit ce poème, je me souviens très bien d’avoir eu à traverser pendant une période, j’allais dire du gros poids lourd dans mon cœur. Je ne suis pas devenue psychanalyste par hasard. J’ai fait moi-même une psychanalyse et si j’ai fait une psychanalyse, c’est qu’il y avait de quoi travailler. Et je dois dire que dans cette partie de l’Évangile, quand Jésus dit « Mon âme est triste à en mourir », je repense à tous ces visages de ceux et celles que je rencontre, que j’ai rencontrés, et devant lesquels je me suis sentie si impuissante. Qu’est-ce que être là, à côté d’un autre, d’une autre, qui pense qu’il n’y a plus rien de possible, que l’âme est triste à en mourir, que le ténèbres dominent. Non, non, bien sûr, je vais leur dire mais non il y a la lumière, tout va bien, il faut espérer, Jésus vous aime... C’est pas comme ça que ça marche. Je me suis rendue compte au fil de ces années, et peut-être dans les derniers jours que j’ai vécu auprès d’une patiente suicidaire, que être là, vraiment là, complètement là, le plus possible, tout simplement, ne pas déserter comme le Dieu des abîmes, voilà ce lieu où on est tenu ensemble dans les ténèbres, mais où, moi, je me tiens aussi avec le Dieu des abîmes qui lui a traversé les ténèbres. Sinon ça sert à rien que je me tienne là si je suis aussi désespérée qu’une autre. Enfin, ça sert à rien. J’ai pas à me laisser gagner par ces ténèbres-là, cet « enténébrement », et pourtant il y a des moments, où il faut aller puiser au fond de soi, même la dernière petite gouttelette d’espérance, qui est là, ne pas la lâcher. Ne la lâchons pas.

Regard 2

Je ne suis pas seule... La solitude, c’est peut-être une des pires souffrances que l’on puisse infliger à quelqu’un. Ne plus avoir de frères, ne plus avoir de sœurs, au sens large du terme, être seul, ne plus être aimé, et ne plus pouvoir aimer. Je ne sais pas de quelle solitude Jésus a été le témoin ou en a fait l’expérience plus exactement pour lui-même. C’est difficile de dire. Mais quand même, tout le monde le lâche. Ils étaient tous là avec lui et puis au moment où c’est le pire, y a plus personne. Quel mal a-t-il donc fait ? Et on est prêts à lui inventer plein de choses parce qu’on veut s’en débarrasser. Comment fait-on avec ceux qui nous entourent pour ne pas les laisser seuls ? Comment fait-on pour être là, à nouveau, j’y tiens, je reviens toujours à ça, mais c’est tellement important, on a si soif d’aimer et d’être aimé. Et c’est pas un crime. C’est une nécessité pour nos vies. Et cette solitude de Jésus, solitude radicale jusque sur la croix, beaucoup d’entre nous la traversent aussi. Comment continuer à espérer ensemble que nous pouvons vaincre cette solitude, et pour nous-même, et pour les autres.

Regard 3

Qu’est-ce que c’est pour nous ce soir, pour chacun, chacune de nous, que ce corps du Christ en croix, mort ? Qu’est-ce que ça représente ? Je me souviens dans mes années Mexique, d’une jeune femme qui n’avait reçu que très très peu d’éducation, et qui avait une espèce de « sentir » de la foi naturelle. Le Vendredi Saint, elle me disait, en regardant la croix, et Jésus dessus, « mais moi, je le pleure, je pleure cet homme qui a donné sa vie par amour. Il n’y a pas beaucoup de gens qui le pleurent, mais moi je le pleure. Comme ça, il n’est plus seul si je le pleure. » Puis elle me rajoutait, « on dit à la messe que Jésus est mort pour nos péchés et que c’est ça qui nous sauve », et elle me disait, « je ne suis pas sûre de croire vraiment cette affaire-là. » Mais ce que je crois, comme le dit le poème de Francine Carrillo, très bien d’ailleurs, entre sa parole et ses actes, il n’y a pas d’écart, il est allé jusqu’au bout de l’amour et c’est ce « jusqu’au bout de l’amour » qui nous sauve tous. Et je me dis, encore une fois cette année, en pensant à cette jeune Maria du Mexique qui pleurait son Jésus, je me dis pourvu que je me lasse pas d’aimer.

Regard 4

Peut-être, vous vous rendez compte de ce que ça ouvre comme horizon, peut-être... Avec peut-être, tout est possible. Avec peut-être, on sort de ses barricades des certitudes. Et, en même temps, tout est incertain. Peut-être, c’est pas sûr. Mais peut-être, c’est peut-être que ça va arriver. Alors, je ne sais pas, puisque je n’y étais pas, et vous non plus, ce qu’ils se sont dit devant la croix au moment où Jésus expirait, au moment où on l’a mis dans le tombeau... Peut-être que ce n’était qu’un homme parmi les autres. Et si on s’était trompé. Vous vous rappelez le récit d’Emmaüs quand il marche sur la route, on croyait que c’était quelqu’un qui allait devenir un roi, puis finalement, on s’est complètement trompés. On avait des espérances peut-être mais c’était des peut-être qui n’étaient pas étayés sur l’expérience si forte que Jésus leur avait proposée. Peut-être, peut-être que Jésus est autre chose ou quelqu’un d’autre pour dire mieux quand même, que cet homme dont la vie s’arrête là. Peut-être... Et si c’était ça le début de la foi ? Peut-être que Jésus est aussi le Christ ?

Regard 5

La liturgie de l’Église catholique prévoit, normalement, pour la journée de demain, ce qu’on appelle le Samedi Saint, et qui commence là, presque maintenant, alors que le corps de Jésus a été enseveli, et que le silence est tombé. Il y a tout ce temps de silence important. Qu’en faisons-nous ? Je m’étonne chaque année finalement comment la liturgie finalement le met si peut en valeur, ce passage par quelque chose qui tout d’un coup s’est arrêté, qui n’est plus là peut-être avec autant de chaleur, ou de présence, de « certitude », entre guillemets puisque je n’aime pas ce mot. Et puis voilà... il n’est plus là. Et ce passage par ce silence, ce passage par ce Samedi Saint, est indispensable à la foi. Je m’en suis rendu compte, pour moi-même en tout cas. Mon Jésus et moi, tout va bien, on se promène ensemble, on fait des belles choses, on est contents, et puis tout d’un coup, il disparaît à l’image que j’en ai, à l’idée que j’en ai, à l’espérance que j’en ai parce qu’il est tout autre que ce que je crois qu’il est. C’est l’expérience d’une mort. Mais c’est l’expérience que nous faisons avec des tas d’êtres humains que nous aimons. Il n'est pas celui que je croyais. Elle n’est pas celle que je croyais. Elle est peut-être encore plus extraordinaire. Et ce Samedi Saint, moi, je l’aime beaucoup. Ce temps où je me dis tout d’une coup, je me dis, l’amour va m’être redonné autrement. Parce que l’amour ne peut continuer de vivre et de grandir que s’il est donné, reçu autrement, tout le temps. Ne pas s’habituer à l’amour, ne pas être des fonctionnaires de l’amour, si j’ose dire, alors l’amour, c’est compliqué, ça fait mal, ça broie, en même temps, c’est formidable. Si on n’avait pas ça, on ne pourrait pas vivre. Nous laisser redonner l’amour de Dieu, demain, avant de fêter la vie et le ressuscité. On fêtera à ce moment-là un Dieu nouveau en nous. Je crois que ça vaut le coup.