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Samedi 2 - Christine Pedotti

  • Date: 21/01/23
  • Heure: de 9h30 à 14h30 (accueil à partir de 9h00)

Quelques minutes avec Christine Pedotti : https://youtu.be/cjSJoIUrgyc

Rester du côté de la vie

Pedotti Christine MG 3321

Christine Pedotti est née à Charleville, comme Rimbaud. Elle y vit une enfance libre et rêveuse, illuminée par la foi que lui transmettent ses parents et un prêtre proche de la famille. Mais avec l’adolescence, vient le temps de l’ennui, qui est aussi un temps de maturation. Comme Rimbaud, elle croit que la vraie vie est ailleurs. Elle lit beaucoup et est impatiente de partir. Il ne faut donc que 20 jours à son futur mari pour obtenir son consentement...

 

 

Passionnée par la chose politique, elle fait des études d’histoire et de sciences politiques, mais c’est l’écriture qui deviendra le fil rouge de son existence. Une écriture qui va l’amener à raconter l’Évangile avec vivacité. À travers ses nombreux ouvrages dont Jésus, l’homme qui préférait les femmes, elle nous rend le galiléen incroyablement présent, et si proche. Mais la journaliste veut aussi s’interroger sur la présence de l’Église dans l’actualité du monde, n’hésitant pas à en secouer les responsables : « Qu’avez-vous fait de Jésus ? »
En 2017, elle coordonne la remarquable encyclopédie, Jésus, publié chez Albin Michel avant de nous offrir, en 2020, un livre surprenant et inattendu : Jean-Paul II, l’ombre du saint. Avec l’historien Anthony Favier, elle analyse, avec distance et sans esprit de polémique, un long pontificat dont les fruits « se révèlent terriblement amers ».
Claude, ce cher mari qui avait fait sur elle une « O.P.A. » dit-elle avec humour, s’en est allé brusquement au printemps 2019. Un coup de foudre qu’elle raconte dans son livre L’inconsolée, l’histoire d’un rude combat pour rester du côté de la vie.
Nous aurons largement l’occasion de parler avec elle de cette « inconsolation » qui ne l’empêche pas de rester « vive, aiguisée, pleine d’appétit et de curiosité pour ce qui vient ».


 COMPTE-RENDU

« Ne pas faire du malheur avec le bonheur passé. »

En ce 21 janvier 2023 hivernal, le Prieuré, qui est à présent en travaux, s’est déplacé à l’église de Thorembais-les-Béguines. Christine Pedotti, autrice et directrice de Témoignage chrétien, est notre invitée pour parler de son livre L’inconsolée, où elle raconte l’épreuve du deuil qu’elle a traversé après la mort de son mari, Claude. Elle qui traverse les Évangiles avec rigueur, elle aime aussi interpeller l’Église avec vigueur, mais en ce samedi enneigé, elle est venue nous expliquer que si la mort de son mari l’avait laissée inconsolée, elle n’est pas pour autant inconsolable.

thumbnail DSC 0007Christine Pedotti commence son récit sur ces mots : « Et j’ai fait du café ». Aujourd’hui encore, elle ne comprend pas comment elle a pu faire ces gestes si quotidiens, au moment où les ambulanciers tentaient de réanimer son mari, qu’elle venait de trouver étendu au jardin. Quelques minutes plus tôt, il lui avait dit qu’il allait faire un tour au jardin, il était en pleine forme. Il a été foudroyé par la mort, sans qu’aucun signe n’ait pu laisser présager cette fin brutale.
Plutôt que d’être plongée dans un état de sidération, elle fait du café, pour s’occuper. Avec le recul, elle y voit le signe que la vie se remet en route tout de suite. Instantanément, la vie réclame sa part contre la mort. C’est à la fois incompréhensible, réconfortant et déchirant.

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Une parole prophétique, une parole qui nous précède.


Lors des funérailles, elle déclare : « Mon amour, je ne veux pas faire du malheur avec notre bonheur. » C’est une folie de dire cela à ce moment-là, elle n’en sait encore rien, mais c’est une parole prophétique, c’est-à-dire une parole qui nous précède, qui montre le chemin. Aujourd’hui, elle sait que cette parole s’est réalisée. Le chagrin, la douleur, la souffrance, ce n’est pas du malheur. Le malheur, c’est quand on est à côté de sa vie, devant un mur, quand on ne sait plus où aller. Or, elle est restée en marche, reliée à cet élan vital avec lequel elle est fabriquée, comme elle le dit si bien.

Le deuil comme une marée noire

Très vite après la mort de Claude, un ami psychanalyste lui conseille de parler avec son mari. Ce conseil lui a été d’un grand secours, et elle s’est autorisée à faire ce qu’elle aurait peut-être considéré sinon comme une folie. Elle lui a écrit durant trois mois, trois fois par jour, elle lui a dit tout ce qu’elle avait sur le cœur et dans l’âme. Et puis, est venu le moment très mystérieux où elle a senti qu’ils devaient se séparer. Elle lui a dit : « Maintenant, il faut que j’y aille. »

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Le malheur, c'est quand on est devant un mur.

Le temps du deuil, elle le décrit comme une marée noire. Durant les premiers jours, on est entouré, on doit faire plein de choses, mais après il faut apprendre à habiter le vide. Après 40 ans de vie commune et d’amour partagé, il lui faut réhabiter ce temps où il n’est plus là.
Et pour cela, pour retourner dans la vie, les rites sont importants. Claude a eu des funérailles catholiques, c’était tout naturel. Christine se sent chez elle dans la liturgie catholique. Elle a vécu pleinement chaque instant, parce que cela faisait sens pour elle. C’est une chance et un privilège, dit-elle, à l’époque où tant de gens endeuillés se voient imposer des funérailles où ils ne sont que spectateurs, presque étrangers à ce qui se passe.
Dans les jours qui suivent, elle se sent fragile et elle a besoin qu’on soit précautionneux avec elle. Autrefois, les signes de deuil que l’on portait invitaient les gens à faire preuve d’attention et de gentillesse. Aujourd’hui, on attend de ces personnes qu’elles fassent « comme si de rien n’était ». Horrible et cruelle expression. C’est comme si on intimait l’ordre : « Vous devez avoir la dignité de faire croire aux autres que la mort n’est rien. » Comme si c’était une vertu morale de ne pas montrer son chagrin.

Les rites, ça change la vie intérieure

thumbnail DSC 0014Trente jours après la mort de Claude, le 12 mai, jour de son anniversaire, Christine invite ses amis au jardin. C’est une vraie fête. Elle avait reçu des arbres à planter au moment des funérailles, parce que son mari s’était passionné pour le jardin depuis sa retraite. Ce jour-là, tous ensemble, ils plantent un arbre de Judée. Aux enfants présents, elle propose d’écrire leur nom sur un ruban de satin et de l’accrocher à un des arbres du jardin qu’ils voulaient adopter, comme une promesse que le jardin allait grandir avec eux. Elle leur offre aussi un des nombreux anges que Claude collectionnait. Elle trouve les mots et les gestes pour parler de la mort aux enfants.
Un an plus tard, Christine Pedotti a la conviction très intime qu’il lui faut retirer son alliance. Elle n’est plus la femme de Claude. Elle n’est pas « veuve », un mot qu’elle déteste, mais une femme seule. Elle sait qu’elle doit se séparer des deux alliances et les confier à quelque chose. Elle pense d’abord les confier à la mare de Gabriel, peut-être même à son insu, une mare que Claude avait admirée et aimée, mais le confinement l’en empêche. Alors, du haut des falaises normandes, tout près de sa maison, elle confie ses alliances à la beauté et à l’immensité de la mer. C’est pour elle un geste salutaire pour aller vers la vie, pour se séparer de ce qu’elle ne savait pas que Claude était devenu.
Après ce geste, le tumulte intérieur s’arrête instantanément. Elle revient de la falaise dans un silence intérieur, de paix. Finie la marée noire qui la submergeait bien souvent et qui la mettait à rude épreuve. Ce geste fort de séparation la remet face à la vie. « Le rite, ça marche, ça œuvre, ça fait bouger la vie intérieure. »

230125 Elle confie ses alliances à la beauté
et à l'immensité de la mer.

Depuis, il lui arrive de remettre sa bague de fiançailles, comme un clin d’œil amoureux à Claude et aux quarante années de conjugalité heureuse.
Au bout de deux ans, elle accomplit ce qu’on pourrait nommer le rite de la boîte noire. Si elle a pu se débarrasser très vite des effets personnels de Claude, sans difficulté, en distribuant ou en donnant à des associations ses vêtements par exemple, il restait d’autres objets comme ses pantoufles, qui avaient gardé la trace de ses pieds, ses lunettes, et des petites choses qui tournaient autour de Claude, comme des satellites autour d’une planète. Que faire de ces objets qui n’avaient pas de valeur ? Elle achète alors une boîte noire en plastique résistant et pendant plusieurs semaines, elle la remplit pieusement (elle insiste sur le mot) de ces objets qui avaient touché son corps. Avant de la fermer et de l’enterrer dans son jardin, au pied d’un malus, elle y glisse une lettre pour expliquer son contenu aux archéologues du futur. Pour garder cette boîte, elle pose aussi une sentinelle, un nain de jardin, comme ceux que Claude aimait. Il lui aura fallu deux ans pour se séparer de ces objets proches du corps de Claude et cela lui apporte une paix extraordinaire.

Transformer les souvenirs en mémoire

thumbnail DSC 0024Tous ces rites lui ont permis de transformer les souvenirs en mémoire. Les souvenirs peuvent devenir des épines, un rappel douloureux du temps passé heureux et révolu. La mémoire apporte au contraire le bonheur du passé dans le présent. Il devient le bonheur du présent. « Tout ce dont je pensais avoir été dépouillée m’est restitué et m’enrichit. La mémoire de Claude m’ensoleille et m’illumine chaque jour. La pensée de Claude me met en joie, elle appartient à la joie d’aujourd’hui. »
Une vocation, c’est un appel à devenir ce que nous sommes de mieux. Elle pense qu’en Dieu, Claude est devenu le meilleur de ce qu’il pouvait être. C’est sans doute cela l’accomplissement que permet la mort. « Entre Claude et moi, il y avait une communion de l’âme, et cela ne peut pas se détruire. »
Si comme le précise le titre de son livre, Christine Pedotti est inconsolée, elle précise tout de suite qu’elle n’est pas inconsolable. Elle reste inconsolée pour deux raisons. La première est qu’elle ne veut pas être consolée de la mort. Tant qu’il lui restera une once de vie, elle résistera de toutes ses forces contre la mort. Entre la mort et elle, c’est la guerre. Être inconsolée, c’est s’insurger contre la mort, elle ne lui accorde rien, même pas de s’en consoler.
La seconde raison est qu’elle ne veut pas se consoler de l’amour. Avec Claude, elle a fait l’expérience de l’amour, elle ne veut pas que la consolation en adoucisse les angles, elle souhaite qu’il reste vivace en elle.

Réparer et réconforter

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Un vase fêlé et réparé ne sonnera plus comme avant.

On ne sort jamais indemne d’une telle épreuve. On a besoin d’être réparé. Il en reste des traces et un vase fêlé et réparé ne sonnera plus jamais comme avant. « Je suis réparée, mais pas indemne. C’est une façon de dire que je ne regrette aucune des minutes de ma vie, même la pire. La minute la plus terrible, celle où j’ai découvert le corps de Claude étendu, je ne veux pas l’effacer, elle fait partie de moi. »
On a besoin d’être réparé et réconforté. Ce qui réconforte, c’est la présence des autres, des proches, la chaleur humaine des bras qui enlacent. « Apporter des chocolats aux gens qui sont en deuil, c’est une bénédiction. » Le réconfort, ce sont aussi les moments d’infimes bonheurs qui surgissent au milieu de la marée noire et qui sont comme une parenthèse dans un océan de peine, ils sont la promesse que d’autres moments comme ceux-là reviendront. C’est un bain chaud ou un bain d’étoiles en plein été. Mais le réconfort peut venir aussi d’un animal de compagnie ou d’un rouge gorge qui se fait de plus en plus proche.
Dans cette épreuve de l’absence, la foi ne sert pas, elle n’est d’ailleurs pas faite pour ça. La foi ne console pas de la conversation interrompue, du fauteuil vide. En revanche les funérailles ont été un moment important qu’elle a vécu avec ce qu’elle avait de plus intime. « Je ne crois pas que Claude soit appelé par le néant. Je l’ai confié à la mémoire de Dieu. Je ne l’ai pas perdu, quel mot bizarre d’ailleurs ! comme si je l’avais égaré dans un coin. Je ne me suis jamais inquiétée pour lui, je sais qu’il est entre de bonnes mains. Peut-être que là, la foi sert à quelque chose. »
Dans cette traversée, les textes de sa tradition lui ont aussi été d’un grand secours. Elle a le sentiment que son parcours était semblable à la traversée de la mer Rouge par les Hébreux, avec la terreur que cela engendre de se retrouver entre deux murailles d’eau qui pourraient s’abattre à tout moment sur elle et l’éparpiller. Elle est aussi habitée par le personnage de Marie-Madeleine qui se détourne du tombeau vide pour courir à Jérusalem. « Ma vie est devant moi et je dois courir vers elle. »

À lire : Christine Pedotti, L’inconsolée, Paris, Albin Michel, 2022.

***

ÉVOCATION

thumbnail DSC 0066Nous avons beaucoup de chance aujourd’hui de rencontrer Hildegarde de Bingen et Christine Pedotti !
Chacune, chacun d’’entre nous avons certainement déjà fait l’expérience de la séparation d’avec un proche.
Hildegarde Van Bingen nous indique une voie : La « viridité » , la pulsion de vie  qui nous pousse à aller vers le vivant, vers l’unique chemin qui possède la vie.
Et c’est également l’intuition de Christine Pedotti au lendemain du décès de son compagnon Claude : « Je ne veux pas faire du malheur avec notre bonheur mon amour, et cela même si le deuil est une marée noire qui s’infiltre en moi. Ce sera une parole prophétique en avant de nous et qui montre le chemin. Et ça marche ! ».
Les rites lors de la liturgie sont comme une langue maternelle et cela tout au long de ce chemin.
Les rites porteurs de sens sont à inventer ou à rétablir : la fête des 30 jours, la séparation des alliances, les objets personnels de Claude à offrir aux amis, à la famille.
Les rites, ça marche, ça œuvre, ça fait bouger la vie intérieure. Ils produisent une alchimie et traduisent les souvenirs en mémoire. La mémoire qui ensoleille et met en joie.
Le deuil d’un proche est l’occasion de réfléchir ou s’approprier l’idée d’une communion des Saints. La solidarité entre les vivants et les morts dans une forme de continuité éternelle, d’éternité. Ne nous tracassons pas pour nos morts. Ils ne sont pas happés par le néant, ils sont dans le temps de Dieu, dans la mémoire de Dieu. L’aventure intérieure, psychique, à la suite du deuil, est possible parce qu’il ne faut pas s’inquiéter des morts.

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Le deuil c'est comme une marée noire.


N'empêche, la mort d’un proche ne nous laisse pas indemne et sans doute seront nous toujours inconsolés. Inconsolés, mais réparés, différents.
Et vive le chocolat, les bras qui étreignent, les bains parfumés, les bains de soleil et le verre de vin, les rites et les rituels qui font sens, les amis, la famille. Bref tout ce qui réconforte et permet de poursuivre le chemin de vie.
Ce chemin n’est pas une autoroute. Il s’apparente plutôt, dans un premier temps, aux routes de campagne enneigées. Mais devient de plus en plus praticable au fil des mois et des années. Ce chemin permet aux « réparés » que nous sommes poussés par une pulsion de vie, d’aller vers le vivant.

 

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Elle traverse les Évangiles.


Lien vers la vidéo : https://youtu.be/cjSJoIUrgyc

 

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Interview : Gabriel Ringlet
Compte-rendu : Jean Bauwin
Évocation : Florence Vanderstichelen
      Illustrations : Patrick Verhaegen (Pavé)
http://www.pavesurle.net/
Animation musicale : La Noeva
Photos : Chantal Vervloedt-Borlée
(21/01/2023)

 

 

 

Samedis du Prieuré