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Vendredi Saint 2015 : Karima Berger - Rencontre

VENDREDI SAINT 2015 : ÉCHOS DE LA RENCONTRE

Karima Berger : La grande épreuve

Karima Berger, qui a honoré le Prieuré de sa présence durant tout le triduum pascal, fut l’invitée d’un vendredi saint pas comme les autres. Relisant la passion de Jésus à la lumière de son expérience de musulmane, elle a jeté des ponts de fraternité entre des communautés qui se méfient trop souvent l’une de l’autre.

Depuis sa naissance en Algérie, Karima Berger vit entre deux mondes ou bien, devrait-on dire, toute entière dans deux mondes. Au mot appartenance qui a tendance à l’enfermer dans une identité, elle préfère le mot origine, plus ouvert.
Elle trouve donc son origine dans une famille algérienne, arabe avec des origines berbères. Son père était déjà dans la double culture, puisque son grand-père avait appris le français et l’avait fait entrer dans la famille, « comme le loup dans la bergerie », diraient certains. L’Islam était un socle paisible pour la famille et il n’était pas remis en cause par le français, ni par la modernité. Tel est le terreau, nourri de deux cultures, dans lequel la petite fille grandit. « L’Algérie est mon berceau, avec mon islam, ma langue arabe, mais il faut souffler dedans pour lui donner vie », dit-elle.
Elle entreprend des études de droit et de sciences politiques à Alger. Elle rêve de faire de la diplomatie, mais elle veut surtout voyager. Et lorsqu’elle sent les premiers signes d’un enfermement qui va se répandre dans son pays comme une plaie, elle s’envole pour Paris. La France qui ne devait être qu’un pays de transit – le temps de faire une thèse et une psychanalyse – deviendra son port d’attache. Son mariage avec un Français non musulman y est sans doute pour beaucoup.

Lire le Coran comme s’il n’était adressé qu’à soi

L’enfant des deux mondes, son premier livre, interroge l’altérité, jette de ponts entre les traditions musulmanes et chrétiennes, et établit des correspondances. Cette façon d’aller et venir sans cesse de la Bible au Coran est pour elle une nécessité.
Avec Éclats d’Islam, elle pose une parole de joie et de liberté au cœur du Coran. « Le Coran me désaltère, confie-t-elle. Quand je le lis, il y a des moments graves, joyeux ou poétiques. Mais la jubilation, c’est mon émotion à moi. Je suis heureuse de le lire comme cela, de façon différente de ce qu’on m’a appris. C’est ma transgression. » Déjà, lorsqu’elle a acheté son premier Coran, elle avait le sentiment de transgresser.
Le Coran n’est pas un bloc monolithique qui fut donné en une seule fois, sa révélation s’est en effet étalée sur 23 ans. Les versets témoignent donc d’une évolution et de la formation des premières communautés. Cela autorise une lecture critique, historique du livre sacré. Avec la même autonomie que les protestants, Karima Berger lit le Coran comme s’il n’était adressé qu’à elle. Les théologiens de la Charia ne sont pas près de libérer l’Islam, ils mettent de côté les interprétations les plus libérales pour ne mettre en avant que les plus restrictives, les plus répressives. Karima Berger refuse de se laisser dicter sa pensée : « Je le lis comme je le sens, en fonction de mon histoire. Je me nourris aussi de ceux qui ont lu le Coran avant moi, de façon lumineuse. »


Les femmes sauveront l’islam

Mais aujourd’hui, les musulmans traversent une grande épreuve. L’Islam se cherche une place sur la scène mondiale et ne sait que faire de la modernité. Pour résister, on a le choix entre s’affirmer comme musulman, afficher des signes extérieurs de religiosité et marcher sous une même bannière, ou bien inventer une autre façon d’être.
Et ce sont les femmes qui pourraient bien inventer cette nouvelle façon de vivre l’Islam dans la modernité. Elles sont habituées à ruser, elles savent subvertir la religion, la vivre, l’inventer. Elles relient Dieu à leur vie. Dieu n’est pas dans un temple ou dans un livre, il fait partie de leur quotidien. Ce sont aussi les femmes qui transmettent les signes du divin, le patrimoine, le corpus vivant du Coran et des rites. « C’est ma grand-mère qui m’a appris la première prière qui ouvre le Coran. Je la connaissais par cœur et je n’y comprenais rien, mais elle me disait que c’était la langue de Dieu. C’est elle qui a inoculé en moi une pépite de Dieu. J’avais ce joyau, ce diamant en moi pour toujours. »
Il ne faut pas oublier que c’est sa femme qui confirme à Mahomet le caractère divin de la révélation qui lui est confiée. C’est elle qui peut reconnaître la différence entre l’ange et le démon. Les femmes ont donc quelque chose de sacré et il faut les protéger. C’est pour cela que le prophète recommande de les voiler, c’est le signe d’une condition noble qu’il leur rend. Il était en effet interdit aux prostituées de se voiler. Le prophète aimait et respectait beaucoup les femmes. Il réduit à quatre, le nombre de femmes qu’un musulman peut épouser, et c’est un progrès. Il met fin à la pratique d’enterrer vivantes des filles, pour la seule raison qu’elles étaient des filles.
Dieu s’est adressé à des hommes qui étaient dans une posture féminine, qui s’abandonnaient à lui au point de se laisser prendre par son message. Ce n’est pas une posture conquérante, virile. Le féminin est la part spirituelle que beaucoup d’hommes n’assument pas.

 
Inventer sa relation à Dieu

C’est par l’écriture que Dieu s’est manifesté, la langue est la matière dans laquelle Dieu s’est révélé. Et c’est aussi dans l’écriture que Karima Berger recompose son personnage, son passage en cette vie, à la façon de Rainer Maria Rilke : « Nous naissons provisoirement, et c’est peu à peu que nous recomposons notre être. » « L’écriture est le seul vrai lieu où j’habite », ajoute-t-elle.
Dans son livre Les attentives, Karima Berger tente un dialogue imaginaire entre Etty Hillesum, la juive morte à Auschwitz, et la petite marocaine dont la photographie se trouvait au-dessus du bureau d’Etty. Malgré leurs cultures différentes, elles se découvrent étonnamment proches. « On a toujours besoin d’un autre pour être soi. Etty m’a émue par sa liberté, sa volonté, par son écriture et sa spiritualité, par sa façon de tisser sa relation à son Dieu. Elle invente sa relation à Dieu. Pour prier, elle tombe et se prosterne sur son tapis de bain. Elle prend son peignoir et se couvre la tête. Nous sommes nées du même arbre sémite. » Karima se reconnaît donc dans cette Etty qui craint de priver Dieu de vide. Dieu est irreprésentable, son nom est imprononçable, il ne peut pas avoir de visage. On prie donc devant du vide. Il faut du vide pour qu’advienne le souffle divin.

Jean BAUWIN
(Vendredi Saint 2015)

 

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